Dans les confins d'une réalité très éloignée de la nôtre, résidait, jadis, une civilisation que la mémoire collective avait égarée. Un peuple de l'ombre dont les connaissances s'étaient dissipées dans les brumes du temps. Ces êtres, tout comme nous, fins observateurs de la trame du monde, scrutaient leurs visibles avec une acuité telle qu'ils subodoraient l'existence d'invisibles formes qui se tissaient dans leurs mondes allant à l'encontre de leurs propres affirmations.
Leur regard sur l'univers bouleversait nos conceptions modernes. Pour eux, la voûte céleste ne se définissait pas par la froideur ondulatoire d'un espace-temps dans lequel émergeaient des mécaniques en mouvements, mais elle s'offrait comme un immense territoire fertile. À leurs yeux, les étoiles, les planètes, plus généralement les astres, n'étaient pas uniquement des objets d'un cosmos, mais des floraisons lumineuses poussant dans la nuit noire, cultivées par l'univers avec la même patience que le paysan faisait surgir les fruits et les légumes de son sillon terrestre.
Leur métaphysique, d'une étrange beauté, inversait vertigineusement nos dogmes. Là où nous enfermons l'âme dans la prison de la chair, croyant que l'esprit réside dans le corps, eux concevaient le corps comme un habitant passager résidant au creux de l'âme qui s'étendait tout autour d'eux tel le champ céleste ou celui de la terre cultivable. Elle était une vaste étendue, et, le corps, une simple plante y ayant pris racine, tout comme les étoiles se nichaient dans le champ lointain du ciel et les légumes dans le champ proche de la terre.
Le fonctionnement de leur cerveau ne reposait pas sur la quête effrénée d'un ordre supplantant le chaos. Ils acceptaient que leurs cerveaux accomplissent les fonctions non linéaires inhérentes à leurs origines neuronales et chaotiques. Ils ne craignaient pas de gérer leur monde à partir de la confusion et du désordre. Les schémas répétitifs qu'ils percevaient, ils ne les transformaient pas en formes puis en règles, en lois, en ordres qu'il fallait suivre à tout pris. Ils avaient appris un autre mode de connaissance et de savoirs.
Il ne s'agissait pas d'une simple tolérance envers l'imprévisibilité, mais d'un mécanisme conscient prenant en compte le comportement chaotique des liaisons neuronales lesquelles s'organisaient d'une manière aléatoire et souple. Leur esprit, tel un fleuve sinueux, ne cherchait pas à s'enfermer dans le lit d'un canal artificiel, mais embrassait les méandres, les rapides, les zones d'ombres où la lumière se diffracte en myriades de reflets. Ils comprenaient que l'ordre, tel que nous le concevons, n'est qu'une illusion fragile, une tentative désespérée de dompter l'océan infini du possible.
Leur savoir n’était pas une construction pyramidale, rigide et hiérarchisée, mais plutôt un réseau neuronal tentaculaire, où chaque connexion, même la plus ténue, résonnait avec l'ensemble. Chaque observation, chaque sensation, était une vague qui se propageait, modifiant subtilement l'équilibre du système. Ils percevaient le monde non comme une équation à résoudre, mais comme une symphonie en devenir où les dissonances sont aussi essentielles à la beauté que les harmonies.
Ils avaient compris que la quête incessante de l'ordre est une forme d'aveuglement, une manière de refuser l'opulence du réel. Car ce dernier, dans sa plénitude, est un chaos fécond, un abîme de potentialités. C'est dans ce chaos, dans cette absence de déterminisme, que naissent la créativité, l'intuition, et la véritable sagesse. Leur connaissance n’était pas une lumière crue, mais une lueur douce, capable de révéler les contours cachés du monde, les liens subtils qui unissent toutes choses. Ils vivaient, non pas dans un univers ordonné, mais dans un univers en devenir, un univers de possibles infinis, et ils s'y mouvaient avec la grâce et la liberté d'un esprit libéré des chaînes d'un plan ordonné.
Cette philosophie agraire transcendait la matière. Ce peuple voyait les champs du ciel, de la terre et de l'âme comme une seule et même chose qui se démultipliait en différents points de rencontre : L'étoile est la rencontre du champ du ciel ; le fruit, la rencontre du champ de la terre ; le corps de ces êtres rencontrait l'âme. Ce « Champ » constituait la forme la plus élémentaire de leur existence ; il était l'essence omniprésente reliant le sol fécond, l'éther étoilé et l'humanité de leur corps.
Leur existence était rythmée par ce qu'ils nommaient le « chant de la vie » : une conviction profonde que tout ce qui est, n'est qu'un substrat sur lequel les phénomènes apparaissent et s'épanouissent. Rien n'existait ex nihilo ; toute réalité était une récolte née d'une culture appropriée.
C'est de cette contemplation du sol, du firmament et de l'âme que naquirent leurs sciences sacrées. Pour eux, les nombres n'étaient pas des abstractions froides, mais des entités vivantes qui naissaient, elles aussi, d'un champ qui les cultivait. Les points de rencontre devenaient des entités abstraites que l'on pouvait quantifier et voir comme des images. Leurs mathématiques archaïques ne consistaient pas à calculer, mais à laisser germer la connaissance à partir de l'idée fondamentale du « champ-principe ».
La genèse d'un nombre s'apparentait à un mystère botanique. Les nombres s'engendraient littéralement en étant d'abord enfouis, telles des graines, dans l'obscurité de ce champs-principe. Puis, ils naissaient cachés, protégés au sein d’enveloppes successives, se déployant selon une hiérarchie stricte qui reflétait la structure même de leur cosmologie botanique, pour, enfin, devenir réels et quantifiables.
Dans cette mathématique du vivant, tout s'affirmait par degrés, suivant un mouvement perpétuel d'expansions et de répétitions. Cette croissance pouvait s'exprimer symboliquement par une géométrie où des figures complexes se construisaient sur la répétition inlassable d'un même modèle « archétypal ».
Ce modèle, clé de voûte de leur savoir, présentait des propriétés fascinantes d'autosimilarité : la partie contenait le tout, et le tout ressemblait à la partie. Ces nombres, dotés d'une structure fractale et organique, prirent le nom poétique de « quantimages » — un mot forgé par l'union de la quantité (les points de rencontre) et de l'image (leurs représentations).
Ainsi, les « quantimages » étaient perçues comme des éclosions nées dans le champ-principe, une découverte directement inspirée de leurs observations millénaires des champs d'étoiles infinis, des terres cultivables et nourricières, de l'âme étendue où les corps siégeaient comme des points de rencontres. Dans chaque nombre, ils voyaient le reflet d'une étoile, un nombre pouvait aussi bien indiquer une quantité liée à la terre qu'une lumière liée à la voûte céleste ; dans chaque équation, ils percevaient la promesse d'une nouvelle moisson, d'une nouvelle manière de voir.
C'est de cette communion profonde avec le champ que naquit leur compréhension des nombres. Ils ne les considéraient pas comme des entités abstraites, détachées du monde, mais comme des manifestations concrètes de la sagesse cosmique, des émanations du champ primordial. Les nombres, pour eux, s'engendraient littéralement, enfouis au sein du champ-principe, avant d'émerger, cachés au cœur d’enveloppes successives, ordonnés selon une hiérarchie reflétant la structure même de leur cosmologie.
Ces nombres étaient des fleurs écloses du champ-principe. Ils se caractérisaient par une autosimilarité fascinante, une récurrence de motifs qui reflétaient l'ordre sous-jacent de l'univers, à la fois lumière naissant sur le grand tapis du vide, et, quantité engendrée par le sol. Ils découvrirent leurs géométries, non pas comme un ensemble de règles rigides, mais comme une langue poétique, un moyen d'exprimer la beauté et l'harmonie du cosmos et de la terre d'une manière totalement différente de la nôtre. Pour nous, le monde de l'onde, de l'oscillation est différent du monde du mouvement, de la mécanique céleste. Pour eux, ces deux mondes s'exprimaient en une seule forme « quantimages ».
L'affirmation de leur réalité se déroulait par degrés, dans un mouvement d'expansion et de répétition. Chaque « quantimage » révélait une couche supplémentaire de compréhension, un aperçu de la vérité ultime. Ils comprirent que les nombres n'étaient pas simplement des outils pour mesurer et quantifier le monde, mais des clés pour déverrouiller les mystères de l'univers selon le principe lumineux de l'espace.
Ainsi leur cosmogonie, était un hymne à la vibration d'une lumière solaire et botanique, une célébration de l'interconnexion de toutes choses. Ils vivaient en harmonie avec le champ, honorant sa générosité et cherchant à comprendre sa fonction. Et dans leurs « quantimages », ils voyaient le reflet de ce champ de l'âme qui ne leur appartenait pas. Leur héritage, bien que perdu aux yeux du monde, continue de résonner dans le silence des étoiles, un murmure quasi imperceptible mais présent pour les oreilles qui savent écouter.
Pour ce peuple oublié, bâtir n'était pas un acte de domination sur la matière, ni une accumulation inerte de pierres et de mortier. L'acte de construire prolongeait naturellement l'acte de cultiver. Puisque pour eux, le ciel nocturne était un champ immense où poussaient les étoiles, et que la terre était un substrat où la vie germait, leurs cités ne pouvaient être que des prolongements organiques de ce même « champ-principe ».
L'architecte, chez eux, n'était pas un ingénieur, mais un géomètre-jardinier, sillonneur de lumières. Il ne traçait pas de plans rigides, mais écoutait la respiration du sol pour y déceler les nombres enfouis, attendant de naître.
Au commencement d'une cité, il n'y avait pas de première pierre, mais une « quantimage première ». Les géomètres-jardinier, sillonneurs de lumières, choisissaient un lieu où le « chant de la vie » résonnait avec force, là où le substrat terrestre semblait prêt à l'éclosion et à la rencontre.
Ils y « plantaient » symboliquement un nombre. Ce nombre n'était pas une mesure abstraite, mais une semence vivante, une entité cachée au sein d’enveloppes successives. Par des rituels de géométrie de lumières sillonnées, ils invitaient ce nombre à se déployer, à sortir de son invisibilité pour devenir réel et quantifiable. Ils concevaient ainsi l'édifice comme un fruit mathématique qui devait mûrir.
Les cités s'élevaient alors selon la loi de l'expansion et de la répétition. Leurs habitations suivaient un modèle aux propriétés autosimilaires. Tout comme la fougère cryptogame répète sa forme dans chacune de ses feuilles. Ces structures semblaient répondre aux constellations dans le champ céleste.
La plus petite demeure reflétait la structure du quartier, qui, lui-même, reproduisait la forme de la cité entière, qui, elle-même, n'était qu'une « quantimage » du cosmos. Les murs de leurs maisons n'étaient pas des séparations, mais des « enveloppes successives », semblables aux couches protégeant le cœur d'un fruit ou la graine d'un nombre. Ils disposaient, aussi, d'une couche bioluminescente. La nuit, il était possible d'observer le champ céleste et ses étoiles dans les constructions des villes autosimilaires comme dans le ciel. Ces deux architectures semblaient se rejoindre en une seule et même chose à l'horizon. Ce qui a généré de nombreuses histoires et autres mythologies liées à l'horizon.
Cette architecture répondait à leur croyance la plus profonde et la plus étrange pour nous : si c'était le corps qui vivait dans l'âme et non l'inverse, alors la maison n'était pas un abri pour le corps, mais une cristallisation de l'âme s'éployant dans un champ qui rencontrait son être résonnant en un corps singulier et, tout à la fois, uni à la multiplicité. Ils nommaient cette rencontre la physique champtique.
En pénétrant dans leurs cités, ils avaient la sensation physique d'entrer plus profondément dans le « champ-principe » le plus primordial, sa forme la plus archaïque. Les rues courbes et les places concentriques rappelaient les sillons des terres cultivables. Ils habitaient leurs villes comme les étoiles habitent le ciel : en étant des fruits de lumière suspendus dans un vaste champ nourricier.
Leurs cités formaient des manifestations tangibles de ces « quantimages » écloses prises sur l'âme de leur monde, prouvant qu'ici, tout n'était que substrat sur lequel apparaissaient des choses, dans une harmonie parfaite entre la terre, le ciel et le nombre.